Lallah, yogi et mystique indienne du XIVème siècle

Au 14 eme siècle, dans une région du Nord de l’Inde, le Cachemire, une voix féminine se fait entendre, celle de Lalla ascète mystique et yogini.
Lalla est née au dans une famille de brahmane (vers 1320) et reçoit une éducation soignée, dans un contexte religieux shivaïte non dualiste. Elle est mariée très jeune, et souffrira d’une vie restreinte aux devoirs du quotidien, ainsi que d’une belle mère qui la harcèle. Après 10 ans de vie d’épouse soumise et sans enfant, elle quitte le foyer pour partir en ascète errante. Rare sont les femmes qui prennent cette voie du samnyasin.
Nombres de légendes surgiront autour d’elle tout au long de sa vie (On raconte qu’elle mourut consumée par un grand feu de lumière sorti de son cœur). Ces légendes et histoires représentent l’admiration, la fascination et l’amour que Lalla a suscité autour d’elle.

« Mon Maitre spirituel m’a donné un unique précepte : « De Dehors, m’a-t-il dit, entre au-dedans ». Pour moi, Lalla, ceci fut la Parole et le Précepte par excellence. Alors, nue, je me mis à danser ».

« En proie à une nostalgie ardente, moi, Lalla, je sortie et je m’en fus errante,
En une quête éperdue au fil des jours et des nuits.
Enfin dans ma propre demeure je vis le Sage et de Lui me saisis. Ah ! ce fut là mon heureuse, étoile, mon instant fortuné. » note 1

Ses « dits », ses chants et poèmes seront recueillis par ses amis et disciples, puis transmis par de fervents admirateurs, selon la tradition orale de l’Inde ( la première version éditée en sanskrit date du 18 eme siècle) . Ces quatrains égrenés sur les routes par la yogini n’évoquent pas un enseignement avec moral et bon conseil, ni les difficultés de sa vie d’errante, ils ne sont pas enclins non plus à un mysticisme sentimental. Ils témoignent une expérience intérieure intense, riche et achevée. Ils sont tels un cri du cœur, un témoignage exceptionnel, pouvant aider, du fait de leur sincérité et de leur chaleur, les personnes traversant la même quête que Lalla.

« J’ai saisi et retenu par la bride le coursier de mes pensées
Et, par une ardente pratique, uni les souffles de mes dix courants vitaux.
Alors le doigt de la lune, ayant fondu, s’est répandu sur moi,
Et dans le Vide un vide s’est absorbé. » note 2

Parfois Lalla s’adresse directement à elle-même, et cela résonne tel un message pour ceux qui l’écoutent. Ses paroles expriment un condensé puissant et remarquable du chemin qu’elle prend. Ce chemin est tourné vers Siva, avec cette quête suprême : effacer les conditionnements limitants de l’être humain, pour découvrir ce qui se cache en lui, à savoir le Soi profond ou atman. Par l’effet de la grâce que Siva peut accorder par ses fonctions, le dieu se révèle, et l’émergence du Soi advient peu à peu. Un nouveau rapport à la divinité et au monde se déploient. Nous sommes au cœur de la bhakti, dont les paroles ferventes et vibrantes de Lalla sont l’expression pure. Il est question aussi de l’action, des impuretés à dissoudre et des pratiques à déployer sur ce chemin de l’ascèse. Son enseignement est épuré, imagé et concret à la fois. Il repose sur l’observation fine des gestes du quotidien et de chaque pensée, avec des pratiques à mener dont celle liée au souffle

« Pourquoi vas-tu à tâtons comme un aveugle ? Si tu es sagace, entre au-dedans.
Siva est là, ne va pas Le chercher ailleurs. Aie confiance en ma parole spontanée ».
« Sur la scène du théâtre, Il a maints déguisements, trouve-Le. Si tu supportes tout avec patience, tu trouveras le bonheur. … »

« Certains quittent la maison, d’autres l’ermitage :
En vain si leur pensée n’est pas maitrisée.
Jour et nuit, sois attentif à ton souffle Et tel tu es, tel tu demeures. » note 3

« Quelque œuvre que je fasse, la responsabilité m’en incombe
Même lorsque le bénéfice est pour autrui,
Si, enfin détachée du fruit de ses œuvres,
Je m’en remets au Soi suprême, Alors, où que j’aille, tout sera bien pour moi. » note 4

La ferveur mystique de Lalla est bien éloignée de notre quotidien occidental. Pourtant ses paroles emplies de chaleur et de voie de réalisation sont porteuses de sens et incitent à la pratique du souffle, des mantras et à la contemplation. Lorsqu’elle évoque dans tonalités émotionnelles les souffrances et les difficultés puis les délices de la fusion, nous pouvons mettre en miroir nos propres difficultés face aux obstacles inhérents de la vie, et les moyens dont nous disposons pour y palier, dont le Kriya Yoga.

« Lorsque j’eus peu à peu conduit et suspendu mon souffle dans le tuyau du soufflet,
La lampe pour moi s’étant allumée, ma nature réelle me fut dévoilée.
Alors, comme on vanne, je diffusais au loin mon intime lumière ;
Et jusque dans les ténèbres je pus me saisir de la Réalité, l’étreindre. » note 5/

« Ayant revêtu la robe de la connaissance,
Grave dans ton cœur ces vers de Lalla.
Grâce à la syllabe OM, Lalla s’est absorbée dans la lumière de la conscience,
Et la peur de la mort pour elle s’est dissipée. »

Pour découvrir la richesse de son enseignement, il faut lire à l’envie ses paroles, s’imprégner du rythme des mots et des images invoquées. Un quatrain choisi sera support de réflexions et de méditation. Certains doivent être lu plusieurs fois sans désirer saisir le sens caché, pour laisser la parabole vivre d’elle-même. Le voyage mystique dans lequel Lalla nous invite est au-delà de toute aspect religieux ou ésotérique. Il est concret et offre un chemin vers la Pure Conscience. Telle une Sainte, Lalla, à travers sa vie et ses dits, est l’incarnation de la liberté retrouvée grâce à la foi absolue.

Notes :
1/ ce poème témoigne de l’intensité de l’amour divin, propre à la bhakti, qui anime Lalla. Cet abandon sous-tend tout au long de son chemin toutes les pratiques qu’elle décrira dans ces quatrains.
2/ Lalla évoque ici les pratiques difficiles, subtiles, qui conduisent au plus haut. Le doigt de la Lune désigne la portion cachée de la lune pendant la quinzaine sombre. Cette portion invisible mais fondamentale désigne la réalité du Soi, jusqu’alors caché mais qui se révèle.
3/ On peut comprendre, « restes ce que tu es, mais demeure dans la pratique et la conscience du souffle. »
4/ On retrouve ici la question de l’abandon des fruits de l’action, dans ses dits, Lalla cite parfois la Bhagavad Gita et incite ses disciples à lire et méditer ce texte.
5/ La lampe de la connaissance s’étant allumée, Lalla voit sa vraie nature, se succèdent alors, la découverte, la conquête du Soi cosmique ou réalité totale.

Livre : Les Dits de Lalla, XIV eme siècle au Cachemire, Et la quête mystique.
Marinette Bruno, ed. Les deux Océans- Paris.
Article Eléonore Gratton