Le Yoga sous les feux de la rampe

Dès lors qu’on se met en marche, un obstacle léger et anodin peut émerger. S’il échappe à notre vigilance, l’harmonie de nos pas sera rompue. Une pierre sur laquelle on butte ou un caillou dans la chaussure, telle une pensée négative récalcitrante, perturbera le rythme de notre avancée.

Il y a toujours une action à mener, un geste à accomplir, et par définition, de par nos mémoires et les aspérités du terrain de la vie, un « caillou » mental, émotionnel, ou concret viendra se jouer de nous.

Un obstacle contraint une action, il entrave mouvement et cheminement.
Dans la discipline Yoga, les obstacles viendront perturbés le chemin vers le samadhi, la clarté mentale et l’absorption ultime. Patanjali dans ses Yoga Sutras nous les présentent avec précisions. Leurs mentions, les symptômes qui les accompagnent et les aides pour les traverser sont énoncés pour guider le pratiquant et éclairer son observation.

Ce qui est inhérent à la vie humaine, le Yoga nous permet de le comprendre et le transformer, pour absorber en soi plus de connaissances et de détachement. Il est difficile de détruire par la seule volonté les péripéties ardues que sont les obstacles. On les regarde déjà, chez soi et chez les autres. Et avec un pas de côté on peut les observer comme une histoire, un Récit, un spectacle …

En dehors de notre réalité quotidienne, il est un autre champ d’investigations possible pour « écouter-voir » des vies et des histoires manipulées par des obstacles. Un espace dédié à cette exposition des douleurs et joies de l’humanité, un lieu dont la naissance appartient à des temps anciens : le Théâtre. Ses fondements viennent de la Grèce Antique, et à l’époque la population dans toutes sa diversité était invitée à la représentation du drame.

Le mot Théâtre vient du grec Theatron qui signifie « le lieu où l’on regarde ». Il qualifie autant l’intimité du spectateur qui se réfléchit dans les actions scéniques, que l’espace en tant que tel : la Scène. Le théâtre Grec avant toute chose avait pour vertu de « nettoyer » le peuple de ses passions et tourments. Les destinées représentées, les chœurs décrivant les scènes, les échappées lyriques des protagonistes devaient réveiller puis apaiser l’âme du spectateur. Si les sources d’afflictions, les tourments, les obstacles étaient présents sur scène c’était pour mieux les dissoudre et les appréhender dans la vie réelle. Il est question ici de catharsis : séparation du bon et du mauvais, pour convertir les passions : « La tragédie (…) est une imitation faite par des personnages en action, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareil émotion » Aristote.

Au théâtre comme dans la vie, il y a les deux versants de l’obstacle. Il sera extérieur si la volonté du héros se heurte à celle d’un autre personnage ou à un état de fait devant lequel il ne peut rien : Agnès éplorée dans « l’Ecole des femmes » se voit contrainte d’épouser son propre tuteur tyrannique et vieillissant, Agammenon doit sacrifier sa fille Iphigénie pour que le vent se lève et permette à ses navires de voguer vers Troie. Si l’obstacle est intérieur, le malheur du héros vient d’un sentiment, d’une tendance ou d’une passion qui est en lui. L’avarice d’Harpagon est un obstacle extérieur pour ses enfants, mais intérieur pour lui : il est avide et amoureux de son or. Don Juan n’est que sensualité et séduction tapageuse, Hamlet est traversé de doutes existentiels, Oblomov du théâtre russe s’enlise dans la langueur et Lulu de Wedekind perdue dans sa beauté, régresse pour finir assassinée… Autant de personnage aux trajectoires extrêmes qui sont des lectures possibles des obstacles si bien étudiés par Patanjali.

Le Théâtre comme miroir du Monde démontre tous les chemins de traverses, ceux qui nous forcent la main, qui nous plongent dans des trous sans fond apparent. Comment et pourquoi le personnage de théâtre guérit-il ? Comment l’obstacle se présente-il dans l’intrigue ? Cette enquête ressemble à celle de nos vies.

Qui suis-je ? D’où venons-nous ? Quels sont nos obstacles récurrents et les symptômes associés ? Comment traverser sans perdre pied ?
Le Yoga ouvre vers la compréhension et l’harmonisation de ces obstacles qui obstruent mental et corps de l’homme, au vu d’une libération ultime ou partielle.

Le théâtre, par un jeu de reflets, nous les révèle, sans les amoindrir, mais pour inviter acteurs et spectateurs à se re-inventer.